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Parler des SAINTS, de l'art religieux, de l'histoire de l'Eglise avec Josnières et le Père Baudoin de Bauvais

11 mars 2013

En direct du Mali avec Alexandre de Bucy

Délestage et coupure d’eau.

Toute cette semaine, de manière très régulière, mais déjà les autres semaines, de manière plus aléatoire, nous avons été victimes de délestage. Plusieurs fois par jour, l’électricité est coupée. La raison invoquée par Energie Du Mali (EDM), en charge de l’approvisionnement, c’est l’endommagement des lignes haute tension qui apportent l’électricité du barrage hydroélectrique de Sélingué jusqu’à Bamako. Par manque d’entretien, les branches des arbres avoisinants ont rejoint ces lignes et ont provoqué des courts-circuits et des incendies les détruisant par endroits. A cela, il faut ajouter la construction anarchique et galopante de la capitale, et une demande en électricité qui dépasse bien souvent l’offre.

Plusieurs fois par jour, nos ordinateurs s’arrêtent, nos frigidaires également avec les pertes que cela peut entraîner, la nuit, ils nous arrivent d’être plongés dans l’obscurité totale. Mais le plus grave est que cela touche également notre approvisionnement en eau. Nous pompons l’eau dans le fleuve Niger grâce à une pompe électrique. Qui dit délestage, dit donc coupure d’eau ! Avec plus de 40° ces jours-ci, cela devient nettement plus dur.

Quand je suis arrivé au séminaire, le recteur m’a accueilli, un brin taquin, avec ces mots : « Dis-nous ce qui te manque, et nous te dirons comment t’en passer ! » J’apprends donc à me passer de l’eau courante, mais pas de l’eau bien sûr. J’ai trois seaux dans ma salle de bain, et j’apprends à les remplir dès l’apparition de l’électricité. Sinon, je risque de n’avoir pas d’eau pour la douche, la toilette et tout le reste ! En même temps, il ne faut pas laisser trop longtemps l’eau dans les seaux, sinon les moustiques apparaissent en gros nombre…


La dernière phase…

Mercredi, le président français a déclaré que nous entrions dans la dernière phase des combats au Mali. Nous aimerions le croire. Si réellement, la reconquête des villes a été un succès, il faut cependant le rappeler : elle s’est faite pratiquement sans combat. Si réellement les combats dans la vallée de Tigharghar au coeur du massif de l’Adrar des Ifoghas a été un succès et a porté un coup dur à un grand nombre de rebelles djihadistes aguerris et déterminés, tuant sans doute des chefs, il serait naïf de croire que tous les rebelles djihadistes qui avaient quitté les villes du Nord Mali étaient réunis uniquement dans cette vallée de 30 km sur 25 km. Un grand nombre se cache encore et au Mali et ailleurs, comptant sur des liens avec d’autres groupes terroristes voisins comme au Nigeria. Enfin, les rebelles touaregs indépendantistes du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) et autres groupuscules, jusque là épargnés par la France et le Tchad, commencent à relever la tête, demandant une force d’interposition onusienne, comme si ils continuaient de revendiquer l’indépendance ou l’autodétermination de ces régions du Nord.

D’ailleurs, je me demande si réellement notre président pense ce qu’il dit, quand je vois le camp militaire français s’installer et construire des structures en dur pour la vie des militaires à Bamako.

Le moral est bon parmi les militaires français. Ceci dit, on devine bien, en les fréquentant régulièrement, qu’il regrette la présence d’un seul aumônier catholique parmi eux. D’autres aumôniers sont prêts à partir, mais ils ne reçoivent pas d’ordre de mission. Pourtant beaucoup de soldats, engagés au nord à Tessalit, dans l’Adrar des Ifoghas, à Gao, ont besoin de parler. Les combats ont été particulièrement durs face à des hommes jusqu’au-boutistes, sous un climat rude avec des températures oscillant entre 45° et 55°, dans une région sans ombre et brûlée par le soleil, portant avec eux tout leur matériel. Toutes ces conditions, la perte de quatre camarades, l’épreuve du feu, font qu’ils ont besoin d’écoute. Et l’aumônier passe beaucoup de temps avec eux. Ce dimanche, il est de nouveau à Gao me chargeant encore de rejoindre ceux de Bamako pour leur célébrer la messe. Espérons que leur demande soit entendue.

Avec les femmes catholiques de Bamako, en quête de pardon.

Jeudi soir, je reçois un appel de la communauté du Verbe de Vie, installée à Bamako près du séminaire. Ils recherchent un prêtre pour le surlendemain. Il s’agit d’accompagner une récollection pour les femmes catholiques bamakoises qui souhaitent réfléchir sur le thème, actuel ici, de la réconciliation. Je dis : « oui ». Mais en raccrochant, je réalise ma témérité. J’ai à peine une journée pour préparer cette récollection.

Pour illustrer ce thème, je m’inspire de lectures maliennes, et notamment de cette magnifique histoire que je vous partage pour que vous goûtiez à la spiritualité musulmane malienne :

« Un jour, la brave Soutoura, femme du quartier, s'en vint trouver Tierno. Elle lui dit :

- Tierno, je suis très coléreuse. Le moindre geste m'affecte durement. Je voudrais recevoir une bénédiction de toi, ou une prière qui me rendrait douce, affable, patiente.

 

Elle n'avait pas fini de parler que son fils, un bambin de trois ans qui l'attendait dans la cour, entra, s'arma d'une planchette et lui en appliqua un coup violent entre les deux épaules. Elle regarda le bébé, sourit et l'attirant contre elle, dit en le tapotant affectueusement :

- Oh! Le vilain garçon qui maltraite sa mère! ...

- Pourquoi ne t'emportes-tu pas contre ton fils, toi qui te dis si coléreuse ? lui demanda Tierno.

- Mais, Tierno, répondit-elle, mon fils n'est qu'un enfant ; il ne sait pas ce qu'il fait ; on ne se fâche pas avec un enfant de cet âge.

- Ma bonne Soutoura, lui dit Tierno, va, retourne chez toi. Et lorsque quelqu'un t'irritera, pense à cette planchette et dis-toi :

 

« Malgré son âge, cette personne agit comme mon enfant de trois ans. » Sois indulgente ; tu le peux, puisque tu viens de l'être avec ton fils qui t'a pourtant frappée durement. Va, et ainsi tu ne seras plus jamais en colère. Tu vivras heureuse, guérie de ton mal. Les bénédictions qui

descendront alors sur toi seront bien supérieures à celles que tu pourrais obtenir de moi : ce seront celles de Dieu et du Prophète lui-même.

Celui qui supporte et pardonne une offense, poursuivit-il, est semblable à un grand fromager que les vautours salissent en se reposant sur ses branches. Mais l'aspect répugnant de l'arbre ne dure qu'une partie de l'année. A chaque hivernage, Dieu envoie une série d'averses qui le lavent de la cime à la racine et le revêtent d'une frondaison nouvelle. L'amour que tu as pour ton enfant, essaye de le répandre sur les créatures de Dieu. Car Dieu voit ses créatures comme un père considère ses enfants. Alors tu seras placée au degré supérieur de l'échelle, là où, par amour et par charité, l'âme ne voit et n'évalue l'offense que pour mieux pardonner.

La parole de Tierno fut sur elle si puissante que, de ce jour, Soutoura considéra tous ceux qui l'offensaient comme des enfants et ne leur opposa plus que douceur et patience. Elle se corrigea si parfaitement que, dans les derniers temps de sa vie, on disait : « Patient comme Soutoura. » Rien ne pouvait plus la fâcher. Lorsqu'elle mourut, elle n'était pas loin d'être considérée comme une sainte. » (Histoire tirée d’un livre d’Amadou Hampaté BA, Vie et enseignement de Tierno Bokar).

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